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Le thème de cette der­nière dis­sé­mi­na­tion men­suelle de la sai­son était: «J’ai rêvé que tu écri­vais un roman poli­cier. L’assassin habi­tait chez toi». Thème pro­po­sé par Renaud Schaffhauser et qui était une invi­ta­tion à l’écriture d’une nou­velle ou d’un récit.

  • Sur Glossolalies, Noëlle Rollet est l’auteur de L’assassin rêvé, «une enquête émaillée de textes pré­cé­dem­ment dis­sé­mi­nés» sur son site, ce qui est aus­si l’occasion de redé­cou­vrir d’autres textes et d’autres auteurs.

J’aime assez l’idée que tout parte du rêve. En lisant ces deux phrases : «J’ai rêvé que tu écri­vais un roman poli­cier. L’assassin habi­tait chez toi», on se met spon­ta­né­ment à le pour­suivre, ce rêve. Pour ma part, il m’est tout de suite appa­ru évident que l’auteur du roman poli­cier devait mou­rir sous les coups de l’assassin qui habite chez lui. L’intrusion du per­son­nage de l’assassin dans le réel ne pou­vait que signer la mort de l’auteur. La pré­sence de l’assassin dans une pièce voi­sine appe­lait néces­sai­re­ment la dis­pa­ri­tion de l’auteur avan­çant dans son intrigue, pen­ché sur son cla­vier — mais vous-mêmes, vous y aurez sans doute éga­le­ment pen­sé ?

  • Renaud Schaffhauser par­tait du tweet ini­tial res­pon­sable de cette dis­sé­mi­na­tion, où un cer­tain auteur (de tout sauf de romans poli­ciers !) s’échinait jus­te­ment à en écrire un. Et sur­tout, il nous pro­po­sait la lec­ture d’un extrait de Clair de crime du grand Werner Kofler.

La fian­cée et Mme Zimmermann se mettent toutes deux à cher­cher le por­tier de nuit, d’abord en ouvrant et ins­pec­tant toutes les chambres non occu­pées. (Le ciel se couvre, un front d’orage approche. Le nar­ra­teur nous mène par les esca­liers et cor­ri­dors de l’hôtel ; ça sent le crime, ici, il devait arri­ver quelque chose. Aha, la chambre numé­ro 24, la porte est ouverte. Très sus­pect. Quelqu’un ? il y a quelqu’un ? Non, plus per­sonne ici, per­sonne dans la mai­son. Couloir, enfi­lade de chambres, la camé­ra légère pivote.)

Qu’est-ce qu’il arrive, au juste ? Où est le délit ? Qui se char­ge­ra de le décou­vrir et punir les cou­pables ? Existe-t-il encore le châ­ti­ment ? Et, s’il a chan­gé d’efficacité et de poids, qu’est-ce que ça veut dire, aujourd’hui, le délit ? Et, pour reve­nir au rêve qui nous est indis­pen­sable pour vivre, qu’est-ce qu’on va faire contre les délits qui tuent la parole ?

— Kerkadek, mon ami, arrête de pleu­rer, comme ça devant tout le monde, parce qu’une demi-vieille, parce qu’une fausse blonde a encore refu­sé ton manus­crit. Non Kerkadek, t’es pas tout seul. Surtout n’oublie jamais qui tu es : tu es un grand marin, un écri­vain aven­tu­rier des mers et des océans. Et tu crois qu’avec ça, le com­mun des mor­tels pour­rait com­prendre ce que tu écris ?!

Il avait rai­son. Ce sont pro­ba­ble­ment ces paroles qui me don­nèrent cette idée, une idée qui chan­gea ma vie, mais sur­tout qui chan­gea la sienne. Cette idée, je la regret­te­rai jusqu’à la fin des temps. Mais l’homme d’action que je suis, que j’ai tou­jours été, sait qu’il ne sert à rien de regret­ter.

Et voi­ci ce que je dis (si les mots avaient pu s’étrangler dans ma gorge à cet ins­tant, si un câble à haute ten­sion avait pu tom­ber sur le quai mouillé et mettre fin à mes jours, mon pauvre ami…) :

— Et si ce roman poli­cier, on l’écrivait ? Tous les deux, mon ami ?