La Revue disséminée, numéro 24, janvier 2016 : l’Etat de sécurité
État d’urgence, sécurité : après de premiers échanges et partages en décembre, nous avons ce mois-ci invité chacun à réagir à cette envolée sécuritaire en proposant des textes inédits, écrits pour l’occasion. Merci pour ces créations, qui sur des tons variés tous nous rappellent ce que ces gesticulations ont d’ubuesque : dangereux, intolérable, et absurde. Souhaitons que leur lecture dissipera pour un moment, et davantage ! les sombres nuages que fait planer sur nous l’état de sécurité.
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Laurent Margantin, «Lettre au ministre de l’Intérieur»
Comment savoir d’après ces images si l’assigné à résidence se radicalise parce qu’il est assigné à résidence ou s’il se déradicalise justement parce qu’il est assigné à résidence ? Ce sont les questions que pose le journaliste à l’écran et que je me pose aussi, mais comment y répondre, monsieur le ministre ? Hélas, l’écran de contrôle citoyen ne nous donne pas à voir ce qui se passe dans le crâne de l’assigné à résidence potentiellement radicalisé, même si le moindre indice doit être relevé.
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Aline Royer, «Madame A.»
Madame A. demande à plusieurs reprises presque en riant (encore l’effet desdites drogues) si tout cela est bien sérieux. Nous lui rappelons avec la plus grande fermeté que l’état d’urgence n’appelle pas la plaisanterie car c’est bien en guerre que nous sommes. Voyant Madame A. désireuse de poursuivre par un discours qui n’avait manifestement d’autre but que de retarder la procédure, nous lui rappelons qu’il n’est plus l’heure de s’égarer au nom de grandes valeurs.
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Bernard Umbrecht, «Les gestes de l’État d’exception»
Une peur brechtienne, en somme, celle de «Grand-Peur et misère du IIIe Reich», qui décrit, avec une lucidité proprement stupéfiante, non pas la crainte des atrocités, mais cette catastrophe lente à venir qui consiste en la lente et banale subversion des esprits, s’exprimant d’abord sur les scènes d’un langage déréglé.
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Serge Marcel Roche, «L’état d’urgence aussi pour les poissons»
Longtemps les hommes sondèrent des cloisons chaque centimètre qu’un carré contient puisqu’aucun livre, aucun papier, aucun carton. L’un d’eux dit : rien ; l’autre : les souverains renseignements assurent qu’A. n’a quitté ni la ville ni le pays ; encore (le troisième probablement) : pas étonnant que soyons si peu, c’est vraiment du menu fretin. Oui mais (le premier et l’autre toujours d’accord) faut se méfier de l’eau qui dort.
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Guillaume Vissac, Bajir, «Une histoire d’internement dans une structure fermée, sécuritaire, psychiatrique ou militarisée»
— Mais c’est comme avoir une sale musique dans la tête en permanence, ce truc-là. Tu te lèves le matin, le gaffe est là à t’attendre. Tu manges, il te voit mastiquer. Tu vas chier ou pisser, tu laisses la porte ouverte pour qu’il surveille ce que tu fais. Il tient à jour un agenda de ce que tu fais, mais où, et en quelle quantité, quelle substance, quelle odeur, quelle texture, mais tu veux que je te dise ? Mais c’est pas ça le pire !
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Renaud Schaffhauser, «Manifestation contre l’état d’urgence»
Celui qui a lu ce texte : assigné. Doit pointer trois fois par jour au commissariat. Demandez-lui s’il ne regrette pas. Il dit qu’il ne recommencera plus jamais à lire ce texte. Mais maintenant c’est trop tard. Il fallait y penser avant.
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Franck Queyraud, «État d’insalubrité»
Tous ces histoires emmêlées – réelles ou imaginaires – nous construisent ou détruisent. Et longtemps après, parfois, nous comprenons nos erreurs, nos erreurs de jugement. Les travaux historiques contrarient toujours nos réactions épidermiques et affectives qui se déguisent souvent dans l’instant présent, en pensée. Jamais ne devons oublier les difficiles combats gagnés pour la liberté grâce à la raison.
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Noëlle Rollet, «Tremblez !»
« Tremblez ! » Et nous tremblons. Sous les tromblons mal embouchés de la suceuse politique, « les faits parlent d’eux-mêmes », quoi d’mieux, idiote gamine, que de se terrer claquemurés, c’est dangereux dehors, pour vivre heureux, vivons étroit, pour vivre heureux, vivons bornés, vivons gardés.
Merci à tous les participants et rendez-vous le 26 février pour la prochaine dissémination !
Source : trouvée sur le site d’Yves Pagès, Pense-bête du 30 novembre 2015.
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