Drôle de ter­ri­toire que le Web, sans fron­tières, vir­tuel, bref, sans limites bien cer­taines. Il semble si bien accor­dé à la liber­té de cer­taines écri­tures, exi­geantes et vision­naires, que nous vous invi­tions ce mois-ci à le sillon­ner et à par­ta­ger avec nous ces textes qui brouillent les fron­tières et font écla­ter les limites.

Serge Marcel Roche, «La forêt tout entière a des plaies sur le dos et nous vivons en elles» sur Oeuvres ouvertes.

Les jours quand passe le sang ne sont que temps en elle qu’elle libère par le bas de son ventre, la nuit est tou­jours grosse de ce temps-là et régu­lière, elle aus­si se vide de son sang, avec le sang de la forêt nous voyons pas­ser le sang de la nuit au bord d’une cica­trice cou­leur de terre qui ne se referme jamais, tou­jours ouverte et lui­sante comme une chair bles­sée qui lutte à se refaire, le jour aus­si quand il a plu long­temps et qu’elle se démange parce que les por­teurs sont blo­qués aux bar­rières de pluie.

Sabine Huynh, «Écrire au bord» sur Oeuvres ouvertes.

[…] Écrire

dans l’urgence et dans l’émergence de contours aus­si sau­vages que ces oiseaux per­dus en mer, figures de proue vain­cues, aveugles et somp­tueuses, exsangues.

Claudine Chapuis, «Limites de l’épithélium olfac­tif ou Comment voya­ger avec une morue por­tu­gaise quand on est paim­po­laise» sur Oeuvres ouvertes.

Mais on aura convo­qué la limite entre deux formes de rai­son­ne­ment, le rai­son­ne­ment dia­lec­tique et le rai­son­ne­ment par l’absurde qui cer­tains jours ont ten­dance à se confondre. Et effec­tué un détour par la phase humo­ris­tique afin de rendre à Chris Marker une cita­tion qui lui appar­tient : « L’humour, c’est la poli­tesse du déses­poir. » Politesse du déses­poir public parce que, dans l’intimité, le déses­poir doit être le sen­ti­ment qui détient le mono­pole de l’illimité.

Marie-Pier Daveluy, «Vues depuis la tran­chée» sur Chemin tour­nant.

Je suis issue des tran­chées d’une guerre à la mémoire han­di­ca­pée de nais­sance. Et le plus aber­rant dans cette his­toire de pos­tures et d’impostures, c’est qu’il m’arrive de me prendre pour la tran­chée elle-même.

Luigi Pirandello, «Je m’appelle Mathias Pascal», sur Le por­trait incons­cient.

– Je m’appelle Mathias Pascal.
– Merci, mon ami. Cela, je le sais. – Et cela te semble peu de chose ?
Cela n’était pas grand-chose, à vrai dire, même à mon avis. Mais j’ignorais alors ce que signi­fiait le fait de ne pas même savoir cela, c’est-à-dire de ne plus pou­voir répondre, comme aupa­ra­vant, à l’occasion :
– Je m’appelle Mathias Pascal. »

Lombric, «Je croisse», sur Le Pelikan.

il n’y a pas de limite demain sera mieux je mise tout sur un fri­gi­daire pas cher une vraie chambre froide et sur l’affinage d’une tonne de camem­bert je croisse mais quand j’ai ouvert la porte du fri­go il n’y avait plus que des vers ils croissent il n’y a pas de limite demain sera mieux

On se retrouve le 25 mars pour la pro­chaine dis­sé­mi­na­tion (thème libre) !

Héro et Léandre, Peter Paul Rubens
Héro et Léandre, Peter Paul Rubens