La weblio­thèque est la grande nou­veau­té de ce début d’année 2014 sur le site Oeuvres Ouvertes de Laurent Margantin. Sur les rayons de cette biblio­thèque numé­rique, des textes du domaine public côtoient des auteurs contem­po­rains et Laurent Margantin vient d’y mettre en ligne sa nou­velle tra­duc­tion du Journal de Kafka dont on peut désor­mais lire l’intégralité du pre­mier cahier.

A cette occa­sion, nous avons posé quelques ques­tions à Laurent Margantin afin qu’il explique son ini­tia­tive. Une weblio­thèque pour qui ? Pourquoi ? Voici.

bibliotheque

Serge Bonnery : L’ouverture de la weblio­thèque est la nou­veau­té de ce début d’année sur Oeuvres Ouvertes. Quelle inten­tion pré­side à la créa­tion de cet espace de lec­ture ? Quelle en est l’idée ? 

Laurent Margantin : Je suis très atta­ché à la biblio­thèque, à l’idée de biblio­thèque. Quand j’étais lycéen en ban­lieue pari­sienne, à Cergy, il y avait une seule librai­rie dans le centre com­mer­cial à côté du lycée, une autre à Pontoise, et l’argent de poche suf­fi­sait pour ache­ter un Folio de temps en temps, pas beau­coup plus. J’allais donc à la biblio­thèque pas loin du lycée, elle était assez moderne, lumi­neuse, j’aimais bien m’y rendre. Je ne sais pas trop ce qu’il va adve­nir des biblio­thèques avec le numé­rique, mais il semble bien qu’elles soient de plus en plus en ligne.

Des jeunes qui ne peuvent pas ache­ter de livres ni d’ebooks, il y en a, et beau­coup de gens au chô­mage et au SMIC qui ont tout juste une connexion inter­net. La weblio­thèque, est avant tout basée sur l’idée de don­ner à lire, d’offrir des textes qui me sont chers.

Il y avait eu, sur Oeuvres Ouvertes tou­jours, une pre­mière biblio­thèque numé­rique lan­cée en 2011. En quoi la weblio­thèque repré­sente-t-elle une évo­lu­tion par rap­port à cette ten­ta­tive ? 

L’idée de la weblio­thèque, c’est que ce soit les auteurs et les lec­teurs eux-mêmes qui se la créent avec des outils basiques, donc c’est quelque chose de moins tech­nique que la pré­cé­dente biblio­thèque numé­rique où j’avais bri­co­lé des epubs. J’avais d’ailleurs arrê­té faute de temps. Mon désir actuel­le­ment c’est de pro­po­ser un sup­port de lec­ture très simple à uti­li­ser et à mettre en place, et d’inviter d’autres auteurs et lec­teurs à faire de même pour qu’il y ait par­tage et échange. C’est com­plè­te­ment cor­ré­lé à la démarche qui est celle de la web-asso­cia­tion des auteurs : dis­sé­mi­ner des textes, échan­ger, dif­fu­ser le plus libre­ment pos­sible en se situant hors de toute pré­oc­cu­pa­tion com­mer­ciale. On est dans le don.

Une autre chose impor­tante à mes yeux, c’est que le texte n’a pas besoin d’être télé­char­gé. On le lit sur le blog direc­te­ment, connec­té. L’édition numé­rique se contente bien sou­vent d’adapter de vieux sché­mas d’appropriation : on achète le livre, on le stocke comme dans les biblio­thèques tra­di­tion­nelles. Mon impres­sion, c’est qu’à l’avenir on n’aura pas besoin de télé­char­ger quoi que ce soit, on sau­ra où aller pour lire tel ou tel texte en ligne, et on ira comme on va cher­cher un livre phy­sique dans un rayon chez soi ou dans une biblio­thèque. Lire numé­rique, c’est aus­si apprendre à ne plus pos­sé­der le texte. Des gens de ma géné­ra­tion conti­nue­ront à avoir des livres papier et une biblio­thèque (culture féti­chiste qui est aus­si la mienne), pas sûr que ce soit le cas des lec­teurs dans une ou deux géné­ra­tions. On ira lire sur le web sans avoir besoin de télé­char­ger le fichier, on ouvri­ra sim­ple­ment une page d’un clic.

D’un point de vue pra­tique, quel est l’apport de la weblio­thèque par rap­port à la lec­ture en ligne « clas­sique » sur un site ou un blog ? 

J’en avais un peu assez de lire des textes longs sur une colonne, je trouve que dès qu’un texte dépasse cinq pages c’est bien d’avoir des pages qui encadrent le texte. C’est sur­tout venu à par­tir de ce que j’écris en ce moment, com­po­sé de séquences assez longues. Actuellement sur le web, il y a une espèce de no man’s land entre les blogs avec des textes par­fois longs sur une seule colonne et des pro­duits édi­to­riaux en numé­rique qu’il faut télé­char­ger : à mon avis là où il faut inven­ter c’est dans ce no man’s land, à l’intérieur même des blogs, mais en accès libre, parce qu’on est venu sur le web pour par­ta­ger libre­ment, pas pour faire du busi­ness.

La weblio­thèque accueille des oeuvres de fic­tion d’auteurs du domaine public et d’auteurs contem­po­rains, des textes cri­tiques ain­si que des tra­duc­tions : com­ment défi­ni­rais-tu l’esprit du cata­logue qui s’annonce ? Eclectique ?

Je ne com­pose aucun « cata­logue », pour moi il s’agit de don­ner à lire ce que je lis, et ce que je lis, c’est par­fois ce que je tra­duis. J’offre au visi­teur ce que j’aime lire, pas plus. Alors oui, en effet, ça peut aller dans plu­sieurs direc­tions, même si la lit­té­ra­ture de langue alle­mande est pri­vi­lé­giée.

Comment penses-tu opé­rer les choix des auteurs contem­po­rains que vous accueille­rez au cata­logue ? 

Les pre­miers auteurs, Antoine Brea ou Pierre Cendrin, sont des auteurs que j’ai connus l’an der­nier via la créa­tion de la web-asso­cia­tion. Ils par­ti­cipent chaque mois aux dis­sé­mi­na­tions, qui ouvrent avant tout un espace d’échanges et de ren­contres, et qui peuvent don­ner des idées comme la weblio­thèque… Mais il y aura aus­si des auteurs que j’ai connus via mon pre­mier site D’Autres espaces, qui était déjà une weblio­thèque !

kafka

Dans la weblio­thèque, sont acces­sibles tes propres tra­vaux de tra­duc­tion, en par­ti­cu­lier Kafka et Novalis. Tu viens de mettre en ligne l(intégralité du pre­mier cahier du Journal de Kafka dont tu viens de ter­mi­ner la tra­duc­tion. Peux-tu nous par­ler de ce tra­vail ? 

Traduction com­men­cée il y a une dizaine de mois (je ne fais pas que ça, sinon j’aurais été beau­coup plus rapide), d’abord comme une nou­velle expé­ri­men­ta­tion après avoir tra­duit une cen­taine de textes de Kafka, courts récits extraits pour la plu­part de ses cahiers, mais aus­si des œuvres plus longues comme A la Colonie péni­ten­tiaire. La tra­duc­tion du Journal par Marthe Robert pré­sen­tée comme « cano­nique » (et d’une grande qua­li­té lit­té­raire en effet) a déjà une cin­quan­taine d’années, et j’ai consta­té dès les pre­mières pages que l’écriture du Journal, son carac­tère expé­ri­men­tal pour Kafka, n’y était pas vrai­ment ren­due. Le Journal, ce sont des flux d’écriture avec des varia­tions de rythme, la ponc­tua­tion absente dans cer­taines pages, une volon­té évi­dente d’écrire vite et « brut » sur des sujets les plus divers (lec­tures, pièces de théâtre, por­traits de col­lègue, inté­rieurs, parents, etc.). C’est ce côté « labo­ra­toire lit­té­raire » que j’essaye de rendre en fran­çais.

En quoi consiste pour toi le tra­vail du tra­duc­teur ? 

D’abord lire len­te­ment, s’immerger dans les deux langues en même temps. Quand on com­mence à tra­duire un texte, ne pas se lais­ser stop­per par telle ou telle dif­fi­cul­té, lais­ser un blanc et conti­nuer pour trou­ver un rythme, idéa­le­ment le rythme d’écriture du texte (je suis bien conscient que c’est une idée un peu sau­gre­nue, mais j’en ai besoin pour tra­duire). Tout au bout du tra­vail de tra­duc­teur, il y a pour moi l’écriture. Georges-Arthur Goldschmidt, grand tra­duc­teur de l’allemand, en parle très bien : traduire/​écrire, on passe de l’un à l’autre sans s’en rendre compte.

Un der­nier mot sur la weblio­thèque : un rythme de paru­tion est-il pré­vu ? Peux-tu lever le voile sur quelque pro­chaine belle sur­prise ? 

Je vou­drais tenir le rythme de deux textes par semaine, soit du domaine public, soit d’auteurs contem­po­rains. Je vais notam­ment reprendre un texte impor­tant pour moi, Du lieu à l’être, de Marc Bonneval, qui a été mon pro­fes­seur de phi­lo­so­phie au lycée de Cergy. D’autres textes de Kafka et Novalis, mais aus­si de Zweig. Je tra­vaille à un récit – ce que j’appelle un blog­book — qui pren­dra place natu­rel­le­ment dans la weblio­thèque. Et si celles et ceux qui nous lisent créaient la leur ? L’idée, c’est que la weblio­thèque soit un réseau ouvert et vivant.

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