jelinekC’est un blog que j’ai décou­vert il y a une dizaine d’années, alors que je lisais la pièce de Jelinek In den Alpen, ain­si qu’un livre d’entretiens avec Christine Lecerf. On apprend ici que c’est bien elle qui s’occupe de ce blog — à la dif­fé­rence de pas mal d’auteurs contem­po­rains dont les sites offi­ciels sont l’oeuvre de proches ou de lec­teurs — et qu’elle a même mis en ligne la fin de son «roman pri­vé» Neid (non tra­duit en fran­çais), à lire donc seule­ment en ligne. Elle a d’ailleurs créé son site dès 1996, site qui attein­dra bien­tôt le mil­lion de visi­teurs, qui ont un accès libre à de nom­breux inédits de l’écrivain ain­si qu’à des pho­tos de cer­taines mises en scène de ses pièces. A lire plus bas quelques pro­pos de Jelinek sur le pro­ces­sus de «déma­té­ria­li­sa­tion», qui cor­res­pond aus­si à son désir de ne pas appa­raître en public.

http://​www​.elfrie​de​je​li​nek​.com/

«Oui, mes textes en prose ne sont désor­mais dis­po­nibles que sur mon site (en télé­char­ge­ment gra­tuit). Et plus sous forme de livre impri­mé.» En un clic, confirme-t-elle par cour­riel, elle peut faire appa­raître ou dis­pa­raître, don­ner ou reprendre ce qu’elle a écrit : «Comme Cardillac, le joaillier de Mademoiselle de Scudéry, d’E. T. A. Hoffmann (1819), qui vend ses oeuvres mais assas­sine leurs nou­veaux pro­prié­taires pour pou­voir reprendre ses bijoux.»

Car l’auteur de La Pianiste a su comme nul autre faire pro­fit de la révo­lu­tion numé­rique pour y pui­ser de nou­velles liber­tés artis­tiques. En 1996, Elfriede Jelinek était l’une des toutes pre­mières à créer son site Internet. L’ordinateur lui semble «avoir été conçu pour (elle)». Il encou­rage son jeu fré­né­tique avec le lan­gage. Ses doigts courent sur le cla­vier, bien plus vite que le crayon sur le papier. Cette musi­cienne de for­ma­tion n’écrit plus à la main, elle com­pose à l’écran une véri­table par­ti­tion de mots. En 2007, elle va jusqu’à pos­ter sur son site le texte de son roman Neid (non tra­duit) à mesure qu’elle l’écrit.

Un nou­veau ter­ri­toire est né qui redé­fi­nit les lois de l’offre et de la demande et les fron­tières du public et du pri­vé : «Sur mon site, je peux avoir la sen­sa­tion d’être tota­le­ment chez moi, comme si j’écrivais une sorte de jour­nal intime qui n’appartient qu’à moi, mais que j’offre en même temps à tous ceux qui le veulent, au sens propre du terme, car ils ne payent rien en échange (mais ils doivent venir me voir pour cela !).» Question : pour­quoi alors conti­nuer de publier les pièces de théâtre sous forme de livres ? La réponse de Jelinek ne tarde pas à s’afficher d’un bloc, comme un apho­risme : «Dans la mesure où on les joue dans les théâtres, les pièces sont déjà publiques. Dans la mesure où on les publie, elles per­pé­tuent l’espace public.»

Article de Christine Lecerf paru dans le Monde des livres, 12 avril 2012, consul­table ici.