Icebound (John Twachtman)

Premier «tour d’horizon», depuis long­temps pro­je­té, où l’on s’efforce de rete­nir les textes qui nous plaisent un peu plus long­temps que ne le per­met le rythme effré­né des réseaux sociaux. L’occasion de suivre un peu ce que font les dis­sé­mi­na­teurs quand ils ne dis­sé­minent pas, aus­si bien que les dis­sé­mi­nés, sans oublier ren­contres de pas­sage, qui par­fois se pro­longent… Le tout sans nulle pré­ten­tion à l’exhaustivité et dans la bien­heu­reuse sub­jec­ti­vi­té de lec­tures vaga­bondes. Ne vous gênez pas pour com­plé­ter le tableau : les com­men­taires vous sont ouverts !

Webasso et alen­tours

Répertoire de Grégory Hosteins

Si je n’en avais rete­nu qu’un texte de mes récentes bal­lades, ce serait celui-ci, une nou­velle fan­tas­tique déli­cieu­se­ment incon­for­table, suant l’étrangeté, toute satu­rée de mots (pre­nez-moi au pied de la lettre !). Plongée dans un uni­vers qui m’évoque les impro­bables noces de Lovecraft et de Beckett : cou­rez y fris­son­ner !

Mais ça ne suf­fi­rait pas. Ça ne ser­vi­rait à rien. Qu’est-ce qui pour­rait sou­der pour de bon les bouts de parole qu’il mur­mu­rait, décla­mait ou voci­fé­rait jusque chez moi ? L’appartement finis­sait par être bai­gné de tant de ces mots que je ne l’habitais même plus de ma voix. Je flot­tais au milieu d’un del­ta per­sis­tant jalon­né ci et là de tous de Babel, même si peu de livres par­ve­naient encore à s’empiler en colonnes droites et fières filant vers le ciel. La panique s’installa.
J’allais me noyer si ça ne s’arrêtait pas.

« Europa pas­sages #1 » de Renaud Schaffhauser

Il ne vient pas loin der­rière, tant est délec­table le style Renaud qui taraude les dis­cours, même les plus plats, et les ampli­fie jusqu’à mettre à nu maints échos et leur logique… par­faite ? inepte ? louche ? À vous de voir…

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Nous ne par­ti­rons pas du prin­cipe que vous consen­ti­rez sans réserve à tout ce que nous allons vous mon­trer, annonce en pre­mière page la bro­chure édi­tée par le lea­der euro­péen des portes de garage basé selon les infor­ma­tions dont je dis­pose, non loin de Bielefeld en Westphalie du Nord, nous ne par­ti­rons pas de ce prin­cipe car nous ne sommes pas sans igno­rer à quel point le thème du shop­ping, sur­tout lorsqu’il s’agit de grandes gale­ries mar­chandes, fait polé­mique.

Victor Klemperer chez Le Saute-Rhin

Pour pour­suivre sur le même thème du lan­gage, au sujet cette fois-ci de la franche «toxi­ci­té des mots».

Et qu’arrive-t-il si cette langue culti­vée est consti­tuée d’éléments toxiques ou si l’on en a fait le vec­teur de sub­stances toxiques ? Les mots peuvent être comme de minus­cules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, elles semblent ne faire aucun effet, et voi­là qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sen­tir.

Ma vie au vil­lage de Serge Marcel Roche

On retourne à de plus poé­tiques ambiances avec cette suite de textes en prose. Encore faut-il bien noter que poé­tique ne rime pas tout à fait avec tran­quille, et que la plume de Serge Marcel Roche, si elle sait se faire légère pour apai­ser, aura grif­fé tout aus­si bien.

Suffit pour­tant qu’une grive soli­taire, une kur­ri­chane, celle aux flancs roux, trot­tine sur les feuilles pour sau­ver le jour d’un désastre men­tal, de la séche­resse inté­rieure, donne joie peu mâle il est vrai, n’importe! il y a ce détail qu’on voit quand elle s’approche, striure de la mous­tache au-des­sus du men­ton. C’est une heure incon­nue d’autre-monde où l’on res­semble à des sélé­nites, là sur la bande, sur­tout si étant grosse la mère trône en haut […].

« Les pas per­dus » (et leur suite) de Serge Bonnery

Poésie encore, mais d’une toute autre veine, puisque c’est le silence qu’elle cherche à embras­ser, dans la belle inten­si­té du «peu», encore conden­sé de l’une à l’autre des deux ver­sions pro­po­sées. Et quelques notes s’égrènent en écho :

Le rou­le­ment sourd de la mer pro­fonde. Le sif­fle­ment du vent dans les venelles. Qui, ici, assoif­fé, tend la cruche ?

Échappées belles

« Traduire la voix » de Jacques Ancet

Le texte de Victor Klemperer m’a fait pen­ser au texte de cette confé­rence, lu avec bon­heur il y déjà… un bon moment. Il y part des limi­ta­tions de la langue, pas si loin de la toxi­ci­té invo­quée, pour emme­ner bien ailleurs – en poé­sie, évi­dem­ment.

Or, et pré­ci­sé­ment parce qu’elle est un décou­page, chaque langue impose et inter­dit à la fois. Elle impose un point de vue sur le réel — une réa­li­té — qui, par ses limites mêmes s’oppose à tous les autres. Tout en nous for­çant à dire cer­taines choses et dans un cer­tain ordre, elle nous empêche d’en dire d’autres et dans un ordre dif­fé­rent.

des mots et des espaces de variable (@je_passe)

Et on finit donc par arri­ver sur ce blog, dont la qua­li­té poé­tique prime sur la quan­ti­té. C’est que, fort heu­reu­se­ment, @je_passe hante bien davan­tage twit­ter – ce qui agré­mente bon nombre de mes tra­jets et errances.

Ils ne voient plus leurs larmes
ne sentent l’eau amère
creu­ser l’ornière pourpre

la pro­fon­deur exclue
masques par défaut ont pris place

j’ai le cœur trem­blant
de leurs défaites cachées

(au soleil
un simple rayon de chance
à la sou­daine lec­ture
du sen­sible qui revient)

Ils ne voient que leurs armes.

Vaine pré­ci­sion typo­gra­phique : Tantôt ita­lique, tan­tôt guille­mets, mais une cer­taine rigueur pour­tant, qui sera sans doute en bien des occa­sions dis­cu­table. «J’italise» ce qui me semble consti­tuer le tout d’un ensemble et je «guille­mète» ce qui serait plu­tôt la par­tie d’un tout.