Écrire sur le Web: Deux questions à Lucien Suel
Lucien Suel est un auteur connu des lecteurs de littérature contemporaine grâce à plusieurs récits, notamment Mort d’un jardinier (Folio). Il est également très actif sur le web via plusieurs blogs, dont le principal (qui porte bien son nom vu sa richesse) s’appelle SILO.
Depuis quand vous servez-vous d’Internet et depuis quand avez-vous un blog ?
Découverte d’internet à la fin des années 90 avec une première adresse email @minitel.net. Puis une connexion par téléphone avec un modem 54k sur mon 486, uniquement pour les emails sans fichiers joints. Je n’ai commencé à surfer qu’en 2004 avec ma première connexion haut débit et l’achat du portable que j’utilise encore aujourd’hui.
Ouverture de mon premier blog de création en juillet 2005. « Etoile Point Etoile (*.*) » sous le nom de Mauricette Beaussart (qui aura aussi pendant quelques mois un désopilant Myspace). Ce blog a été jeté aux oubliettes en novembre 2008.
En octobre 2005, j’ai créé un second blog : « Silo – Académie 23 », devenu quasiment une revue littéraire sur internet. Comme je me sentais incapable techniquement de créer un site et que je commençais à bien maîtriser le template, j’ai choisi d’alimenter un élevage de blogs parallèles :
– en janvier 2006, « Lucien Suel’s Desk » dans lequel je publie les informations générales, bio-biblio, nouveaux ouvrages, catalogue, agenda…
– en mars 2006, un autre blog de création « A noir E blanc », photos de Josiane Suel accompagnées par mes textes.
– enfin « Photoromans », un blog similaire en collaboration avec le photographe Patrick Devresse d’avril à août 2006.
Actuellement, je continue de faire vivre « Silo » et « L.S.’D. » et j’ai récemment ouvert un compte sur Twitter.
Y a-t-il pour vous une expérience d’écriture différente sur le web ?
S’il s’agit d’écriture pure, il n’y a pour moi pas de réelle différence entre écrire sur le web ou écrire « ailleurs ». La différence apparaît quand on travaille dans l’inter-activité, mixed média, langage html, etc… Plus de possibilités, pour la mise en page, l’utilisation d’hétéronymes, le rapport au lecteur, les commentaires.
Le point important est que l’échange et la diffusion sont plus faciles, plus rapides, plus larges (dimension internationale).
Pour moi, la différence fondamentale a été la transformation des « manuscrits » en fichiers numériques. C’est ce qui a le plus modifié mes pratiques d’écrivain en simplifiant les montages, les archivages, les duplications, les corrections, les envois. Ensuite, que le fichier soit publié sur le web ou dans une revue papier, ceci n’influence pas significativement la production.
D’une manière générale, je ne raisonne pas en termes de comparaisons. Je considère l’aspect pratique des choses. De la même façon que je ne renie rien des expérimentations que j’ai pu faire dans les années 70 et 80, je ne rejette aucune technique. Elles s’ajoutent les unes aux autres, sans obligatoirement se remplacer. Je peux utiliser un logiciel de traitement de texte et dans la minute qui suit, prendre mes ciseaux et de la colle pour fabriquer un poème visuel ou concret avec des mots et des images découpées dans du papier (que je pourrai éventuellement scanner et mettre en ligne).
Actuellement, je crée ce feuilleton (Kurt Witter) en épisodes de 140 signes sur Twitter. L’intérêt est qu’il lu et « recuicuité » (retweeté) dans les secondes qui suivent son écriture-édition. Il reste aussi théoriquement à la disposition des visiteurs du net pour une durée indéfinie. Notons cependant l’effet « fosse à bitume » – cf F. Bon– qui fait que ce qui est censé rester à portée de clic a tendance avec le temps à s’enfoncer dans les limbes numériques.
Pendant longtemps encore, les différents supports vont cohabiter. En tant qu’auteur, je considère que c’est une chance. J’écris sur le net et quand on me le propose, j’écris aussi pour des revues ou des éditions « traditionnelles ». Mes romans sont disponibles sous les deux formes.
Ce qui m’importe, c’est que la poésie soit lue. Elle est plus en vue depuis qu’elle se trouve en ligne. Cela me remet en mémoire la notion de publication orale mise en avant dans les années 80 par mes amis poètes sonores. D’un coup, en lisant à voix haute, on faisait entendre sa création à (restons modestes) quelques dizaines de personnes. De nos jours, cette même publication orale, par l’intermédiaire des sites de partage vidéo, a lieu devant la planète entière !
Ceci dit, aujourd’hui, j’ai aussi (encore) des lecteurs qui n’ont même pas de connexion internet…
(Propos recueillis par Laurent Margantin)
A reblogué ceci sur rhizomiques.