Qu’est-ce que l’écriture web ?
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Evidemment, pas question pour moi de donner ici une définition ou une théorie de l’écriture numérique, j’en serais bien incapable, plutôt proposer quelques axes de réflexion qui m’occupent ces derniers temps pour une discussion ouverte. Et puis surtout, idée centrale à mes yeux que l’écriture sur le web existe au présent, que le web littéraire c’est ce que les auteurs en font au quotidien, sur leur(s) blog(s), ce qui n’empêche pas qu’on doive dégager quelques lignes de force, dire ce que personnellement on veut faire ou ne pas faire (et on est à un moment-charnière selon moi).
– Depuis 2000 où j’ai créé mon premier site (comme on disait alors, et j’aime bien ce terme géographique), D’autres espaces, le blog est pour moi premier. C’est-à-dire qu’il n’y a pas eu le livre, et ensuite une présence ou activité sur le web, car je n’avais pas publié de livres papier à l’époque. Le blog est premier veut dire aussi que les textes qui y sont donnés à lire ne sont pas destinés initialement à devenir des livres: ils sont écrits pour le web, et cela change tout en vérité puisque l’écriture ne se déploie plus et ne s’articule plus en fonction d’un objet à composer par la suite. Ce qui s’écrit en ligne s’écrit donc en fonction de l’outil web, et pas à partir de paramètres extérieurs, qui seraient ceux des éditeurs et des auteurs dits « traditionnels ».
– L’écriture web constitue son propre champ littéraire, elle n’est certes pas coupée de ce qui se passe en dehors, mais elle ne dépend pas des critères littéraires extérieurs à son champ. La question du genre (nouvelle, roman, poésie) par exemple, n’est pas essentielle, combien de textes composés en ligne ne sont pas classifiables à l’aide des catégories régissant le champ littéraire traditionnel ? Il est fréquent que l’écriture web, dans une seule page, puisse naviguer entre différents genres, ou bien s’en dégage totalement. Il est également naturel que l’écriture se déploie avec des images (photos ou vidéos), qu’une nouvelle réalité littéraire naisse de cette libre association des supports. Il y a donc une autonomie du champ littéraire web qui me paraît forte, et qui correspond depuis le départ à une volonté des auteurs de sortir de la marchandisation généralisée de l’objet livre.
– Pour ces deux raisons (caractère premier du blog, autonomie de l’écriture web), les références constantes au livre ou à tout format clos (la revue par exemple comme rassemblement de textes), si elles sont inévitables puisque nous avons appris à lire avec ces objets, me paraissent inutiles quand il s’agit d’écriture web, surtout si celles-ci tendent dans certains cas à inscrire le blog dans un processus d’éditorialisation au bout duquel le livre serait la finalité même de cette écriture en ligne. Je suis sceptique – pour ne pas dire plus – quand je vois des auteurs présents sur le web – effacer des textes mis en ligne pour en faire un bouquin papier à la prochaine rentrée littéraire. L’écriture web n’existe vraiment qu’à travers un archivage en ligne. Le blog est premier veut dire aussi qu’il n’est pas effaçable, qu’il est oeuvre à part entière, avec sa police d’écriture, ses documents iconographiques, le rythme des mises en ligne, etc. Le blog n’est pas un brouillon de l’oeuvre qui serait le bouquin papier. L’oeuvre s’écrit en ligne, c’est son espace propre, et tout ce qui vient après (ebook, livre papier) est second voire secondaire. Je ne peux pas m’imaginer effacer le blog du voyage à Kerguelen si je devais en faire un jour un bouquin papier (ce que je n’exclus pas), car c’est là que s’est écrit le voyage, et pas ailleurs (les processus d’écriture étant donc bien centraux sur le web)
– Rompre avec ce que Léautaud appelle la littérature fabriquée (combien de Jules Renard aujourd’hui en librairie ?), préférer ce qu’il appelle en pensant à Stendhal écriture spontanée, naturelle, celle de son journal par exemple, pleine d’excroissances et de digressions, à la différence des petits romans proliférant à chaque rentrée littéraire. Loin de se détourner de la littérature d’avant le numérique, l’écriture web serait liée en profondeur à certains chantiers d’auteurs qui ne correspondaient pas aux attentes du public dans le cadre de l’industrie du livre apparue au dix-neuvième siècle. Ecritures qui se caractérisent par l’oubli de toute forme close dont elles dépendraient pour être lues, le web n’étant donc pas rupture totale avec ce qui l’a précédé, mais seulement avec le livre comme conditionnement de l’auteur dans une certaine ère industrielle de la littérature. Et quelle pitié de voir ces auteurs apparus dans les années 80-90 continuer à sortir leur petit bouquin de janvier ou de septembre, eux qui sont venus après les grands expérimentateurs du vingtième siècle (dont ils se réclament souvent), tout en s’enfermant dans un discours ringard sur le web littéraire, espace pour de nouvelles expérimentations s’ils voulaient (mais sans doute ont-ils d’autres soucis que purement littéraires…).
– Toujours se poser la question de l’objet littéraire, hérité de l’impression papier, creuser cette question me paraît essentiel (elle est au coeur de la démarche numérique en vérité). A mon sens vouloir créer des objets sur le web comme s’il s’agissait pour les auteurs en ligne de prendre la relève de l’édition traditionnelle, me paraît une erreur (je sais de quoi je parle, j’en ai fait l’expérience pendant deux ans, entre 2009 et 2011). L’espace de création, c’est la page web, à quoi bon vouloir en quelque sorte la dépasser en cherchant à créer un objet qui lui serait supérieur parce que soi-disant pérenne, et surtout commercialisable ? Maintenant nous voyons les conséquences de cette démarche: de l’objet ebook payant il faudrait passer à la page web payante. Est-ce que le propre de l’écriture web n’est pas – comme certains journaux ou cahiers d’auteurs jadis – de proposer une lecture gratuite hors même de la question de tous les formats d’édition ? La page web n’est-elle pas essentiellement cahier choisi par son auteur, dans une totale liberté à l’égard de tout ce qui se passe dans le champ du commerce de la littérature ? Et n’est-ce pas pour cela qu’il faut valoriser sur le web toutes ces écritures du passé qui n’étaient pas destinées à devenir des objets de lecture, dans un oubli total du devenir-oeuvre, je pense bien sûr au Journal de Kafka ? Question difficile, sensible: le web, c’est aussi l’espace où l’écrivain peut se donner précisément pour tâche de ne pas exister sur le marché du livre: question littéraire mais aussi politique évidemment, jamais prise en compte dans certaines discussions savantes sur la littérature numérique. Ecrire sur le web, dès le départ, ça a toujours été un acte de résistance aux boutiquiers de la littérature, et je souhaite que cela continue.
– Dernier point assez complexe à traiter mais qui est, pour l’écriture web, enjeu majeur: celui du tissage des blogs d’écriture et de lecture, indispensable à la diffusion des textes. Trop de contraintes visant à protéger les éditeurs ont été appliquées au numérique (songeons aux DRM sur les ebooks), mais d’autres contraintes de lecture se sont progressivement mises en place, visant à canaliser la lecture sur certains points du web. Les disséminations que j’ai proposées ne sont pas gratuites, mais correspondent à une forme de lecture propre au web où les textes sont écrits, diffusés et lus librement. Cette lecture disséminée est une réponse à la nature même de l’écriture web, dispersée sur des blogs, mais qui ne peut exister que par des tissages, des passages entre blogs. Il y a un lire-voir-écrire le monde propre au web qui doit avoir également ses propres espaces de lecture ouverts. Je propose qu’on continue à réfléchir au développement de ces espaces, dans une forme d’autonomie réelle par rapport aux modèles d’écriture et de lecture traditionnels.
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Mon cher Laurent, j’hésite un peu car je ne suis pas sûr de pouvoir mener loin une discussion sur ce thème. Ce n’est pas limpide pour moi, loin de là. En toute amitié, je ne crois pas que l’on puisse se passer de préciser ce qu’est l’écriture numérique pas seulement pour éviter toute confusion, il y a écriture et écriture, texte et texte, mais aussi parce que nous en sommes à une toute nouvelle étape. L’écriture web est aussi celle d’automates industriels, les algorithmes de Google lisent et écrivent pour nous transformant les mots en marchandise monnayable. Des robots peuvent aujourd’hui écrire des articles de journaux. Le web est une machine à lire et à écrire. C’est dans ce contexte me semble-t-il que se pose la question de l’existence d’une écriture littéraire et de ce qui la distingue du reste. Sans compter que l’on devrait pouvoir s’interroger sur les formats techniques que l’on nous impose. Qui a décidé qu’on ne déroulerait les textes que dans une direction ?
Je vous rassure cher Bernard, ce n’est pas limpide pour moi non plus et pourtant je pratique depuis une quinzaine d’années 🙂 Oui, vous avez raison, je n’aborde pas les questions techniques, en fait je me suis limité à la question du non-marchand, hélas je ne vois pas un autre outil que le web pour avoir une activité littéraire gratuite et accessible à tous. La question politique qui est derrière cela me paraît cruciale.
Bonjour,
Merci pour ce billet. Je me retrouve complètement dans votre premier paragraphe, lorsque vous dites que « le blog est premier ». C’est quelque chose qui s’est aussi produit pour moi avec S.I.Lex et sans doute, sans Internet et la forme du blog n’aurais-je jamais trouvé la voie vers une forme d’écriture. A présent, il y a dans ce que j’écris quelque chose qui « résiste » au retour vers le papier (je n’arrive plus à écrire des articles de revues par exemple) ou même vers le livre numérique. Malgré plusieurs projets et tentatives, je n’ai jamais réussi à produire une compilation de billets pour les rassembler en un livre. Il y a effectivement une autonomie de l’écriture numérique et particulièrement du blog.
Après, je serais plus nuancé concernant la question du non-marchand. Il est certain qu’Internet a ouvert une possibilité pour un grand nombre d’écrire et de toucher un public, sans avoir à passer par le circuit de l »édition classique et donc, sans passer la la sphère marchande. Thierry Crouzet l’explique bien dans ce beau billet « Ce que le wen a changé : l’écriture » : http://blog.tcrouzet.com/2013/11/12/ce-que-le-net-a-change-lecriture/
» L’immédiateté change tout pour l’auteur comme pour le lecteur. Il faut être aveugle pour ne pas le remarquer, le sentir dans la musique, la rugosité de la stance mitraillée.
Acte libérateur du bouton Publish adossé à nos traitements de texte. Miracle de la touche Send. Cette touche nouvelle tout aussi révolutionnaire que pour le peintre le passage de l’huile à l’aquarelle, de l’aquarelle à l’acrylique. »
Internet a donc bien constitué la condition de possibilité de cette sphère de l’écriture non-marchande et c’est fondamental.
Il n’en reste pas moins que j’essaie davantage de penser la co-existence entre une sphère marchande et une sphère non-marchande, plutôt que de les opposer les unes aux autres. Parce que certains auteurs ont besoin de mettre en place un modèle économique pour pouvoir créer durablement et approfondir leurs pratiques.
Je suis en ce moment avec grand intérêt un autuer comme Neil Jomunsi, qui s’est lancé dans son Projet Bradbury http://actualitte.com/blog/projetbradbury/ Il a besoin de pouvoir mettre en place un modèle économique pour pouvoir tenir dans la durée et donc il est amené à « vendre » sa création, aussi bien directement à la pièce, que sous la forme d’un abonnement de soutien. Mais par ailleurs, il cherche aussi à articuler une sphère de partage gratuit autour de son oeuvre, notamment en utilisant des licences Creative Commons.
Cet entre-deux m’intéresse beaucoup et j’essaie depuis longtemps de répertorier les modèles économiques que l’on peut adosser à des licences libres, particulièrement dans le domaine de l’écrit http://scinfolex.com/2013/11/20/utiliser-les-licences-libres-pour-un-projet-editorial-quels-contenus-quels-usages-quelle-diffusion/
A mon sens, le vrai moyen de dépasser l’opposition entre la sphère marchande et non-marchande consisterait à modifier ou compléter les formes de financement de la création. Des financements mutualisés (crowdfunding, contribution créative ou mieux encore revenu de base) permettrait à al fois à l’auteur d’avoir un modèle économique et de laisser son oeuvre en ligne, dans une sphère non-marchande.
C’est pourquoi je milite à la fois pour la légalisation du partage et la mise en place de nouvelles formes de financement pour la création.
Après bien sûr, il fait rester très vigilant sur la manière dont la sphère commerciale peut parfois chercher à « tordre » ou à « récupérer » ce qui se produit dans la sphère non-marchande. Par exemple, j’avais été assez inquiété par le programme Kindle Worlds, qui consiste pour Amazon à conclure des licences pour des « univers » complets (de séries ou de romans à succès) pour permettre à des auteurs de fanfictions de vendre ensuite leurs productions via Amazon http://www.numerama.com/magazine/26024-avec-kindle-worlds-amazon-veut-monetiser-les-fanfictions.html Ce qui se produisait dans une sphère non-marchande (les fanfictions) mais dans l’illégalité trouve une base légale, mais uniquement à condition de basculer dans le commercial;
L’enjeu pour moi consiste donc à réussir à faire co-exister harmonieusement une sphère marche et une sphère non-marchande de la création et c’est loin d’être évident http://scinfolex.com/2013/07/18/offre-legale-et-partage-non-marchand-doivent-coexister/
Oui, Lionel, j’entends bien ce que vous dites sur l’harmonisation nécessaire entre le non-marchand et le marchand (bel idéal), et je ne suis pas assez naïf pour penser que demain la littérature sur le web se passera de la sphère marchande. Je redoute plutôt le contraire: la disparition de l’écriture en accès gratuit en ligne. Pourquoi ? Pour une raison qui concerne quelque chose de propre à l’art en général, et qui est la validation symbolique des textes. Si des revues payantes s’imposent au coeur du web avec un « capital symbolique » important, je pense que de plus en plus d’auteurs délaisseront l’écriture sur blog et brûleront cette étape de l’espace personnel en ligne pour soumettre directement leurs textes à ces revues payantes et forcément prestigieuses, sur l »ancien modèle de la publication papier style NRF/Gallimard dans les années 20-30 et au-delà. Ce n’est pas un modèle (disons aristocratique, vertical) qui me satisfait, je préfère la multiplicité et la diversité des blogs avec interactions (via notamment les réseaux sociaux) avec validation symbolique des textes sur un mode plus démocratique et horizontal. C’est pour cela que je défends prioritairement le gratuit après une courte expérience du payant parti pour moi dans une dérive à tendance hégémonique. Le payant a toujours tendance en effet à affaiblir le gratuit, voire à le détruire, et j’envisage très mal l’harmonisation dont vous parlez, intéressante sur le papier (si je puis dire), moins convaincante quand on regarde la réalité des rapports de forces ensuite.
Il ne faut pas confondre deux choses, deux formes d’écriture;
La première est une analyse, un résultat de recherche scientifique ou une explication vulgarisatrice, donc à vocation éducative. Parce que leurs auteurs sont payés par des institutions publiques ou privées, tous ces textes doivent (devrait car ce n’est pas encore évident dans certains domaine) être disponibles gratuitement pour tous les terriens. C’est indiscutablement non-marchand. Les blogs non littéraires sont dans cette catégorie. Le web est parfait pour diffuser sans obstacle des idées, surtout qu’il horodate et signe automatiquement, donc facilite la résolution d’éventuels litige d’antériorité (droit moral de paternité….auquel tiennent bien entendu tous les chercheurs). On peut graduellement passer du web, puis sur HAL, puis revue de +en+ cotée internationalement.
La recherche semble (je suis optimiste sur ce point) se dégager plutôt bien des dérives marchande de l’édition scientifique, des prix Nobel en arrivent à ne publier que sur HAL!
La deuxième forme est purement artistique dans le sens que les auteurs demandent une complète liberté à la fois dans la production de l’oeuvre, mais aussi dans les moyens d’être jugé sur leur qualité. Les écrivains ne veulent pas d’un système d’évaluation par des pairs comme pour la recherche, donc ne veulent pas passer des concours pour rentrer dans les canons de la beauté décrétée par l’état ou par d’autres artistes.
Puisque les écrivains doivent manger comme tout le monde, et qu’ils ne sont pas tous rentier ou aristocrates, il faut bien résoudre le problème de la rémunération de leur travail. La société à tout intérêt à libérer un plein temps pour ses membres les plus doués et ainsi promouvoir une production littéraire de qualité.
Soit les auteurs acceptent une forme de mécénat de maisons d’édition…à voir si leur liberté est conservée et si l’éditeur n’est pas trop gourmand financièrement. Je suis estomaqué que l’on parle de la part recevant à l’auteur, donc la plus petite quand on devrait mettre l’auteur comme receveur principal, qui reverse à l’éditeur une part pour sa confiance et son aide.
Soit les auteurs s’autoproduisent; il manque actuellement quelques petits outils sur le Net pour faire cela facilement, en particulier, un moyen de paiement gratuit, sans paywall, et il n’y a pas encore un système démocratique de partage marchand (voir justement mon papier ‘Merchant Sharing Theory’ sur HAL) de biens immatériels.
Face à ces difficultés, la tentation de publier « gratuitement » est grande et si vous vous laissez bercer par le discours populiste de Calimaq, vous conviendrez alors qu’il n’y pas d’autre solution, une forme de sacrifice au gratuit, un acte héroïque au suicide !
Bon sens réveillez-vous !, vous n’êtes pas dans vos romans, vous avez besoin de gagner de l’argent pour vous chauffer, vous vêtir, manger,…et même vous divertir.
Seuls les riches diront que l’argent est secondaire, et si c’est votre cas, ne mettez pas tous les auteurs dans le même panier, tous ne veulent pas se suicider.
Je pourrais vous expliquer en détails pourquoi la demande de légalisation du partage non marchand (incluse dans la Contribution Créative) est dangereuse et vous en seriez les premières victimes…moi je m’en fou, je suis chercheur!
Ce que l’écriture web change, c’est un contact précoce et permanent avec vos lecteurs, donc éventuellement un ‘feedback’, mais après, les bon textes ont toujours demandé de l’effort, du temps et du talent et je ne vois aucune différence entre une écriture au stylo sur une feuille de papier et l’utilisation d’un ordinateur connecté au Net.
Arrêtez avec la magie du bouton « publish » ou « send », ce n’est pas de la littérature ce que j’écris actuellement (ou ce qu’écrit Calimaq !). J’adore lire des histoire sur l’informatique, quelque soit sa forme et je trouve qu’un des meilleurs est « La théorie de l’information » d’Aurélien Bellanger…chez Gallimard, pourtant, je serais le premier à vouloir la disparition de cet éditeur.
On a l’impression que votre blog vous évite une séance chez le psychologue…très bien, c’est peut être divertissant pour le lecteur, mais considérez vous vos réflexions comme de la création artistique ou comme un travail de recherche ?
Parce que tu crois que l’écriture Web ne demande pas de travail? ça te vient d’où cette idée? Quand Kerouac écrit en 3 semaines Sur la route il n’a pas assez travaillé selon toi, donc c’est mauvais, c’est ça ? La durée de la création, son rythme, n’ont aucun lien avec la puissance d’une oeuvre.
Ta remarque porte sur mon commentaire oubien sur l’article ?
Je ne pense pas avoir dit que l’écriture Web ne demande pas de travail !
Au contraire, je voulais dire que par le Web ou par un circuit classique, il fallait une rémunération pour l’auteur et ne pas considérer que le support Web implique la gratuité.
Thierry, il faudrait éviter de se contenter de reproduire les lieux communs qui sont, depuis des lustres, véhiculés sur Kerouac : s’il a mis effectivement trois semaines — sans amphétamine, juste avec du café comme carburant — pour mettre au propre le plus célèbre de ses romans, il ne l’a pas écrit pendant ce laps de temps — entre le 2 et le 22 avril 1951. Sur la route, est un projet qui a débuté en 1948 et il n’a pas cessé d’y travailler, jusqu’à ce qu’il se mettre à coller des feuilles de papiers entre elles pour obtenir le fameux rouleau sur lequel il livrera son texte. Je ne livre pas, ici, de scoop : tout est minutieusement décrit par ses biographes dans la longue préface de l’édition de « On the road. The Original Scroll ».
@CUPFOUNDATION Sur ce dernier point, je suis d’accord… en partie… la rémunération n’est pas une obligation… 1/ Jamais tout le monde ne pourra être rémunéré et 2/ C’est souvent les œuvres qui rapportent le moins qui durent le plus longtemps.
à mon sens, les créateurs doivent pouvoir tenter de gagner de l’argent avec leur oeuvre, il faut que le système le permettent (je suis donc contre le tout gratuit), mais je sais aussi que vouloir gagner de l’argent avec une oeuvre en fait souvent un produit commercial et non une oeuvre.
1) Dense billet de départ, qui va au-delà de la querelle marchand/non-marchand. Mais comme les commentaires s’en emparent, je vais commencer par là aussi. Je ne vois rien d’utopique aux propositions de Calimaq, et ce n’est pas vivre dans un roman que d’essayer aussi de faire de la littérature (puisque c’est d’elle qu’il est ici question) autre chose qu’une valeur simplement marchande – au contraire, et précisément du fait des contraintes économiques qui pèsent sur chacun, cela correspond à un engagement véritable, mais qui n’a nullement à être de l’ordre du sacrifice, il serait simpliste de le réduire à ça. Il s’agit plutôt de faire le partage. Je ne pense pas que le marchand soit à bannir par tous et, côté papier, il y a trop de « petits » éditeurs (dans le système marchand, donc, mais souffrant tout autant de contraintes économiques que cite cupfoundation) que j’aime pour jeter l’anathème de façon indifférenciée. En revanche, je crois effectivement que le maintien d’un espace gratuit et de qualité est nécessaire pour faire vivre et une certaine idée d’Internet et, surtout, de la culture – entendant par là des valeurs ne passant pas par le filtre marchand, précisément, et qui doivent donc pouvoir s’en dégager pour être, tout bêtement, crédibles. Internet peut offrir cet espace, qui constituera une spécificité possible (choisie) de l’écriture-web.
2) En revanche, Laurent, je ne te suis qu’à moitié sur l’autonomie. Comme toi, je pense que choisir la forme du blog devrait exclure l’idée d’une publication « livre » (= texte délimité, plutôt que fermé, puisque je crois que ton idée d’ouverture vaut moins pour la forme elle-même que pour l’ouverture aux lecteurs). En revanche, pourquoi exclure les notions de genre, par exemple ? Ils existent même dans ce champ, et c’est dommage de se priver de cet outil qui peut traquer une mutation spécifique au web, peut-être. Tu es curieusement radical: les genres sont mis à mal depuis longtemps, le roman n’a pas attendu le Web pour torpiller l’héritage du XIXe! Cela n’exclut pas au demeurant la possibilité d’une autre forme d’écriture, plus spécifique au Web, mais je crois que nous en sommes (ici) à peine à en délimiter le champ. Là encore, je ne rabattrais cependant pas exactement cette spécificité sur le non-marchand, parce que je ne crois pas que cette question soit première pour tout auteur (ou futur auteur) qui ouvre un blog, même si elle se pose sans doute nécessairement en cours de route. Le blog peut être aussi, je crois, d’abord un espace d’essai et un lieu où donner à lire, en ne se préoccupant que secondement de pouvoir ou non être considéré comme auteur (avec la question de la rémunération qu’implique ce statut).
3) Ton rejet de toute forme close me gêne à plus d’un égard, car non, l’œuvre n’a pas attendu l’industrie du livre pour se constituer, ni même tout à fait l’auteur – simplement, le statut avait peu à voir avec ce que nous héritons du XVIIIe (Beaumarchais). Je l’ai dit ailleurs, je suis attachée à la délimitation de l’œuvre (ce qui ne veut pas dire que je ne veuille pas entendre parler d’autres formes), par confort de lecteur, d’abord (j’y reviendrai), mais aussi parce que l’on n’écrit pas la même chose selon que l’on navigue à vue ou que l’on suit un parcours un tant soit peu balisé. Je ne crois pas que l’un soit nécessairement supérieur à l’autre. En revanche, je suis méfiante, devant l' »écriture spontanée, naturelle » (dites-moi où donc notre nature, si tant est qu’elle ait existé, peut être si clairement séparée de la culture ?): tout littérature est fabriquée, sinon par son auteur, par son éditeur, par son lecteur. La nommer telle, c’est la fabriquer. Essayer d’en repérer les spécificités, c’est encore la fabriquer, selon moi. Ce n’est pas une tare, au contraire. Je ne vois pas bien, comment restreindre la littérature du web à cette écriture pourrait être libération. (Au demeurant, je ne pense pas être si loin de ta propre position, Laurent, puisque que Aux îles Kerguelen est bel et bien « achevé »).
Pour conclure sur ces deux derniers points, voilà comment je résumerai : toute littérature en ligne n’est pas spécifique. Cette littérature « simplement » en ligne n’y a pas moins droit de cité, je crois, mais les mutations y sont moins visibles, le principal changement touchant plutôt aux questions (et choix) de diffusion, par exemple, donc réinscrivant la question de sa place « dans la cité ».
Je crois travailler pour ma part assez nettement dans un champ plutôt traditionnel – le texte est premier, pour moi, peut importe sa réalisation « physique », mais sa forme (achevée ou pas) reste importante, l’un et l’autre choix étant valables.
Et reste alors ouverte (c’est le cas de le dire) la question d’une littérature-web spécifique, c’est-à-dire qui n’aurait pu être écrite sans lui, pour des raisons techniques d’abord – en admettant qu’elle existe.
4) Si sous « ouvert » il faut entendre « en cours d’écriture » et « ouvert aux lecteurs, lectures, autres auteurs », oui, c’est indubitablement une spécificité du web. Quel est son impact sur ce qui effectivement écrit ? Multiple, me semble-t-il, et qui pose bel et bien la question de la délimitation: ce qu’il y a au bout de chaque hyperlien fait-il partie de l’œuvre ? les commentaires de l’œuvre laissés par un visiteur ? les « sédiments », c’est-à-dire les brouillons, corrections, s’ils sont possibles ? Curieusement, il me semble que c’est la dimension critique que met en avant le Web, ou du moins la dimension réflexive: l’auteur expliquant, précisant, corrigeant son œuvre. Je biaise un peu: quid des corrections, justement ? Ton discours semble les évacuer. Elles me sont chères, au contraire, et je ne crois pas que les évacuer puisse aisément laisser place pour une esthétique de la condensation ou de l’épure. Comment fait-on, concrètement? On garde trace des remords en les rayant, comme Guillaume Vissac ? On travaille « offline » le texte avant de le publier ?
Mais accordons-nous sur ce point: la littérature web est plastique.
5) Abordé à peine plus haut: la question de la temporalité, ce présent partagé de l’auteur. Je suis incertaine. Assez inopinément, je retrouve ici le questionnement suscité par la lecture du Journal de l’aube d’Anna Jouy. Je ne crois pas que tout lecteur souhaite partager ce « présent » de l’auteur (même sans la charge intime, émotionnelle du journal). Dans certains cas même, il nous détournerait d’une œuvre par ailleurs remarquable (ce qui ouvre un autre débat). Pourtant, oui, c’est un des aspects que rend possible le web: cette relation auteur-lecteur, rendue mieux visible, réinterrogée [C’est drôle, d’ailleurs, (ou seulement logique), si j’avais fait une thèse, elle aurait précisément eu pour sujet cette relation]. Et oui, c’est une relation intime, en quelque sorte, d’amour ou d’amitié. Le web, le réseau social comme relais, le réaffirment, avec les mécomptes que cela implique, et en mettant à mal, aussi, les fantasmes choyés.
6) C’est là aussi, cependant, qu’intervient mon « confort de lecteur »: je crois que la littérature peut (doit?) s’adresser à un peu plus large qu’au cercle des « proches », ce qui nécessite de l’objectiver, donc, bel et bien, d’en faire un objet délimité, identifiable, qui puisse être adopté par un cercle un peu plus large que celui des « happy few ». Évidemment, ce bémol ne vise pas à minorer la spécificité de l’écriture web ni ce que peut avoir de passionnant cette aventure,
Mention spéciale pour Google, qu’évoque Bernard Umbrecht : assez merveilleux et terrifiant, en effet, cette indexation généralisée. Les occurrences de nos blogs peuvent-elles suffire à éviter certaine normalisation et loi du chiffre ? Cela mériterait toute une autre discussion.
Merci Noëlle pour ta contribution. Pour le 1) et le 2) je laisse ouverts et note avec intérêt ce que tu écris (et te donne d’ailleurs raison concernant la question des genres, je crois que celle des supports vidéo image mêlés au texte est plus essentielle au web).
Je te répondrais juste sur deux points, excuse-moi de me limiter à eux mais ton « commentaire » est très riche:
– J’insiste de manière sans doute « radicale » sur la primauté à mes yeux de la page web. Cela pour des raisons très personnelles, comme je te l’expliquais en privé: mis trop d’énergies ces dernières années dans du web évoluant de plus en plus vers le format livre traditionnel (jusqu’au livre papier !), besoin donc de retrouver la page web comme espace de création sans passer à autre chose qui la dépasserait. Si je regarde là où je créé (écris) depuis plusieurs années, c’est sur la page web, et de moins en moins dans le cadre du texte pour revue (ce qui était pour moi central il y a encore dix ans) et encore moins pour composer un livre. Pourquoi ne pas prendre acte de cette réalité personnelle, et ne pas dire tout simplement que, oui, la page blog est l’espace premier et central de création et que tout le reste est devenu secondaire ? Rien de polémique là-dedans, juste un constat personnel (mais peut-être aurais-je dû titrer « qu’est-ce que l’écriture web… pour moi ? »).
– clos/ouvert: d’accord avec toi pour dire qu’il y a aussi des oeuvres closes, achevées en ligne, et c’est d’ailleurs comme ça que je conçois ce que j’appelle blogbooks (oui pour Kerguelen, histoire achevée), mais quid de tous ces chantiers d’écriture sur Oeuvres ouvertes qui restent ouverts au point que je peux y revenir régulièrement, les prolonger, les ouvrir d’une autre façon ? Est-ce qu’on aurait pu faire ça ailleurs que sur le web ? Sans doute que c’était propre à l’écriture en revue autrefois, mais aujourd’hui ? Il me semble donc que cette ouverture du texte est quand même propre à l’écriture web, et qu’en ce qui me concerne je balance constamment dans mon travail en ligne entre ces deux pôles (ce qui me rappelle d’ailleurs le flottement caractéristique de la littérature romantique allemande entre fini et infini).
Mais que de questions qui restent ouvertes…
Et, de même, j’ai répondu pour moi, en fonction de mes pratiques (de lecture et d’écriture), en réagissant surtout à la crainte de trop restreindre le champ. Ce qui m’a permis de baliser un peu le mien, qui ne l’était pas toujours très clairement. Tendance aussi à placer l’accent sur la primauté du texte en « oubliant » le médium (papier ou pas), pas forcément à juste titre…
Dans ton « ouverture », j’entendais aussi la circulation des lecteurs.au sein de l’œuvre. Quelle trace y laisse-t-il, si trace il y a ?
Tu penses aux commentaires & réactions au texte mis en ligne ? (désolé de te répondre tard)
Oui, Laurent, notamment commentaires et réactions, voire d’autres formes de collaborations plus volontaires d’emblée. Mais tout cela (et bien des autres sujets dans cet échange) me semble plutôt ouvrir à de prochaines discussions plus spécifiques, non? Un peu l’impression que là, on place quelques points de repère sur un champ très vaste, pour trouver une (des) directions… et histoire de ne pas perdre le Nord ! 😉