La première dissémination libre de l’année nous arrive avec un air de tout jeune printemps éparpillé entre les saisons : entre ville et bois, il reste encore un peu de neige, surtout si l’on se promène côté Québec, mais l’eau commence à caracoler, pluie ou flaque, dans l’atelier ou sur l’asphalte, s’étale au Lac, et on se prend à rêver ou à se souvenir entre nostalgie et amertume, au gré des jour et de leurs nuits.

Hervé Chesnais, le ravaudeur, sur Chemin tournant (Serge Marcel Roche)

Lancez amis la poudre du rêve, incisez le fruit merveilleux jusqu’à l’os. Que s’achève entre pulpe et lame l’idée même qui nous fit marcher droit, jusqu’au noyau ligneux des nuits décentrées, jusqu’au soir même des songes qui nous ont réveillés, qui désormais nous abandonnent.

Baptiste Gaillard, Bonsaïs, sur Mots sous l’aube (Anna Jouy)

(rêve d’un atelier dont le dépôt est en extérieur, avec de grandes allées délimitées par des rayonnages, dont la plupart sont encore vides mais dont certains regorgent de matières, ou de ce qui ressemble déjà à des œuvres. Les flaques au sol et les feuilles mortes, les actions par mouvements de l’extérieur, les dilatations et les mouillures. L’instabilité dort au cœur du conservé. Près de la forêt, partiellement couvert de branches, le dépôt est un atelier humide)

Aline Royer, « Nous nous tenions prêts », sur Flânerie quotidienne (Franck Queyraud)

Nous entendions siffler le vent par grandes bandes au-dessus de ces grandes bandes de terre qui nous entouraient. Nous nous tenions au centre de la grande litanie du vent qui désorientait la pluie, les oiseaux noirs, le ciel, et rabattait d’un coup sur nous, avec la brusquerie du souvenir, des brassées de sous-bois, de branches qui s’agitent et de petites fleurs qui percent.

Bernard Saulnier, Lettre au Lac, sur Oeuvres ouvertes (Laurent Margantin)

Ça semble idiot un lac, mais pas celui-là, on y rêve, il vous tourmente, vous aguiche on veut toujours le revoir on s’y accoutume pas. De loin de très loin j’essaie de m’imaginer l’odeur de souffre des moulins elle est encore là ? Mais j’irai pas au Lac pas cette année. Je vais chercher l’onde, l’ombre, ici, tout près. J’irai sur les plans d’eau qui entourent Montréal jamais aussi magnifiques que le Lac. J’imaginerai des forêts, la nature, la verdure je chercherai des bleuets en sachant qu’il n’y en a pas. J’irai en acheter un casseau au marché les mangerai avec de la crème et du sucre retrouverai peut être un peu de la saveur du Lac en passant je regarderai les gourganes pour la soupe. Ça fait folklorique tout ça mais c’est là toujours là. J’ai des souvenirs de champ de moutarde immense jaune à faire pâlir. Ils parlent tous du fleuve moi c’est le Lac mon obsession.

Caroline Dufour, « Si j’étais un arbre », sur Le Vent qui souffle (Françoise Gérard)

des cœurs qui vaguent et des jours aussi
et des minutes qui font naître les heures
et de tout ça – ni tout ni rien qui soit jamais perdu
ni le vent des cœurs ni celui des choses

Laurent Maindon, Chronique berlinoise : Orpheline d’étreinte, sur Le SauteRhin (Bernard Umbrecht)

Horizon divisé

Ciel partagé

On lui vantait le bon côté du miroir
Télévisions journaux bon sens et mots de comptoir
Contemplation de soi même

Joachim Séné, Nuits, sur Glossolalies (Noëlle Rollet)

né de cette nuit qui contient tout ce que l’avenir réserve, de destructeur et de créateur, d’inconscient, de folie, une nuit qui tend vers elle les regards et les silences, les sourires et les fantasmes, les questions et les questions, une nuit que l’on voudrait pouvoir tirer à soi plus vite pour enfin savoir si le rêve peut s’accommoder de la réalité

« Anthologie sauvage » : Hermann Hesse, Pierre Loti, Jean-Jacques Rousseau, Antoine Volodine et Pascal Quignard sur Studio Nuit (Grégory Hosteins)

Qu’est-ce que la liberté ? Ce qui sonne le rappel à la sauvagerie source. Car les petits enfants étaient comme des chats. Sauvagerie dont la domestication laisse la nostalgie à tout enfant que l’obéissance involontaire au sein de la famille et que la servitude volontaire de l’éducation ont repoussé d’abord dans l’admiration, ensuite dans le dressage puéril, enfin dans la honte de l’esclavage. Telle est en latin la feritas, l’état de bête sauvage, qui a donné en français le mot fierté de la même façon que le soli-vagari des félins, des sangliers, des cerfs a donné en français le mot sauvagerie.
La liberté humaine rejoint cette déprise déjà animale des solitaires à l’égard des hordes ou des bandes.
(Pascal Quignard)

Merci à tous pour ces échanges et les relais et rendez-vous dans un mois !

 

Image à la une : mrhayata, Puddle, CC BY-SA 2.0